Le 3 octobre, Samuel Gontier, journaliste à Télérama, publie un article virulent dans sa chronique En léger différé, s’en prenant à l’émission culinaire La meilleure cuisine régionale, c’est chez moi !, diffusée sur M6. Le magazine culturel y voit des « relents réactionnaires » et un « fumet nationaliste ». Animée par les chefs Norbert Tarayre et Yoann Conte, l’émission participerait, selon Gontier, à la « valorisation d’une France moyenâgeuse » et d’un imaginaire culinaire conservateur.
Les griefs sont surréalistes. L’article reproche à l’émission de répéter trop souvent des mots comme « tradition », « méthodes traditionnelles », « restaurants traditionnels » ou encore « terre de traditions ». Il pointe aussi une séquence tournée en Bretagne où Norbert Tarayre s’extasie devant un « bistrot marin » décoré de guirlandes, que le journaliste décrit comme une « taverne de matelots sortie d’un vieux film ». Mais ce n’est pas tout : l’émission serait également coupable de « glorifier le passé », lorsque Norbert s’exclame, face à des endives emballées à l’ancienne : « Là, t’es au XVIᵉ siècle ! ». Et enfin, crime apparemment passible des assises selon Télérama la cuisine végétarienne n’est pas représentée.
Pour étayer son accusation, Télérama s’appuie sur Sébastien Bourdon, auteur de Drapeau noir, jeunesses blanches : enquête sur le renouveau de l’extrême droite radicale, qui voit dans l’émission une « valorisation d’une France moyenâgeuse et d’une virilité chevaleresque ».
L’article établit également un parallèle avec le phénomène du gastronationalisme, en citant la journaliste Nora Bouazzouni, pour qui des expressions comme plats canailles sont devenues « la signature des restaurateurs du réseau Gueuleton, soucieux de “défendre notre identité”, souvent proches d’influenceurs d’extrême droite et des milieux du gastronationalisme ».
Plusieurs chercheurs ont récemment pris position sur le sujet dans les colonnes d’Alternatives Économiques, qui a consacré plusieurs articles au phénomène. Le professeur Michele Antonio Fino, de l’Université des sciences gastronomiques de Pollenzo, y estime que « le gastronationalisme est l’une des formes les plus insidieuses du nationalisme ordinaire, car il est souvent accueilli avec indulgence, confondu avec de la fierté patriotique ». Selon lui, cette approche repose sur « l’affirmation de la supériorité des traditions culinaires nationales sur celles des autres pays ».
Enfin, la prolifération des labels AOP et IGP est également critiquée. Selon Fabio Parasecoli, professeur d’études alimentaires à l’Université de New York, « l’explosion des certifications montre que l’Union européenne a donné aux États membres des outils puissants pour nourrir le nationalisme sous couvert de protection du patrimoine culinaire ».
En résumé, si nous aimons notre pot-au-chou, nous sommes de dangereux réactionnaires. Mais il y a fort à parier que, selon Télérama, si l’on célèbre le couscous ou un délicieux tajine au Maghreb, on mène alors une lutte moderne contre la colonisation. CQFD.